Discreta caritas

Dans le grand cirque médiatique de notre monde, l’image nous impose son dictat. Pour prouver que l’on existe, il faut se mettre en scène, balancer sa trombine sur la toile, s’auto-photographier à coup de Smartphone. La photo numérique est devenue l’art du matraquage. Les boîtes à images hi-tech sont insatiables. La moindre carte mémoire introduite dans un appareil photo peut ingurgiter des centaines de prises de vue.

Partout l’image s’affiche ostensiblement sur les écrans qui envahissent notre vie quotidienne. Ils sont présents dans nos maisons, dans nos voitures, dans les rues et bientôt nos vêtements, nos lunettes, notre montre seront reliés à des écrans. En matière d’ingérence dans nos vies privées, internet en connait un rayon ! Si l’on n’y prend pas garde, le piège peut se refermer subrepticement sur nous sans que l’on s’en rende compte et faire de nous des esclaves de l’image.

Ne nous résignons pas trop vite au fatalisme, il y a une porte de sortie possible. La discrétion nous en offre une. Elle nous propose de nous détacher des biens, en particulier des écrans, de sortir de soi-même pour n’être plus qu’une place vide. Maître Eckart dit dans ses « entretiens spirituels » à propos du discret : « Il doit d’abord se laisser lui-même. (…) En vérité l’homme qui laisserait un royaume, voire le monde entier, et se conserverait lui-même, n’aurait rien laissé. Mais l’homme qui se laisse lui-même, quoi qu’il conserve, richesse, honneur, n’importe quoi, cet homme a tout laissé. ». La discrétion permet de laisser être les choses et rend possible par la même occasion de faire l’expérience d’une vie libre qui ne se soucie ni ne se détourne des occupations du monde, mais les laissent telles qu’elles sont.

Tout l’art de la discrétion tient dans une ligne discontinue. Disparaître et apparaître font entrer alternativement dans un espace discontinu qui crée des places en retrait puis en vue. Le retrait facilite le ressourcement qui donnera un enracinement plus sûr lorsque le moment viendra de revenir sur la place publique. Dans la vie spirituelle cette attitude trouve sa traduction dans les propos que tenaient Nadal1 sur Ignace de Loyola :

« A cela s’ajoutait que, en toutes choses, actions ou conversations, il sentait et contemplait la présence de Dieu et l’attrait contemplatif dans l’action, ce qu’il exprimait habituellement par ces mots : il faut trouver Dieu en toutes choses. » (MHSI Nadal IV, p.651)

Guy DELAGE s.j

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1Jérôme Nadal, né le 11 août 1507 à Palma de Majorque, dans les îles Baléares (Espagne), et mort le 3 avril 1580 à Rome, prêtre jésuite espagnol de la première génération des compagnons de Saint Ignace de Loyola. Il est connu comme le « Théologien ignacien » qui a développé théologiquement les idées maîtresses de la spiritualité ignacienne.

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