Malgré toutes les campagnes anti-tabac rien n’y fait, le nombre de fumeurs est loin d’atteindre le point zéro. Ce n’est pas plus la pub., que la puissance des multinationales ou que la force du markéting qu’il faut incriminer, mais plutôt le poids des habitudes. Le théorème du fumeur qui crée un lien indéfectible entre la clope et l’adepte du tabac s’applique à tous les domaines de la vie, aussi bien au niveau personnel que collectif.
Si fumer peut vite devenir une habitude, acheter plus que ce qu’il faut, faire ses courses par internet plutôt que chez le commerçant de quartier, utiliser la voiture pour faire 500 m ou jeter ses détritus dans la nature sont des plis qui, une fois qu’ils sont pris, ressemblent comme deux gouttes d’eau à des habitudes qui lestent notre existence.
Au niveau collectif, à la longue, on finit par s’habituer à peu près à tout : aux excréments canins sur les trottoirs, aux emballages de pique-nique sur les bords des chemins de randonnée, aux routes mal entretenues… Et j’en passe. En prenant encore un peu plus de hauteur on s’habitue à un baril de pétrole à 100 dollars alors qu’il n’en valait que 20 dans les années 80. On s’habitue aussi aux vagues de réfugiés qui se noient en méditerranée ou qui aboutissent à Lampedousa. Les attentats terroristes ne provoquent plus de manifestations monstres dans les rues pour condamner de tels actes. On s’y habitue tout comme on s’habitue aux mesures de contrôle renforcés qui en découlent. Et bientôt vous verrez qu’on s’habituera au port du masque toujours et partout, aux quarantaines obligatoires, aux tests covid, aux traçages de vos déplacements et à bien d’autres réjouissances encore.
On s’est même habitué à la surpêche. Il n’y a pas un seul pêcheur professionnel anglais pour se rendre compte qu’avec toute la technologie embarquée de son bateau il ne ramène plus que 6 % de ce que ses prédécesseurs ramenaient 120 ans plus tôt dans leur bateau à voile pour une durée équivalente passée en mer. Le poids des habitudes finit par nous priver de toute réaction telle la grenouille qui reste, jusqu’à en mourir, dans une casserole d’eau que l’on chauffe progressivement, mais qui en sort immédiatement si on la plonge dans de l’eau bouillante.
Le pire de tout serait de s’habituer à la misère sous prétexte que c’est inéluctable et qu’il y aura toujours une part de l’humanité plongée dans la grande pauvreté. Ce serait oublier que le Christ, lui, a jeté un regard de compassion sur les foules désorientées. Comme pour ces foules du temps de Jésus nos vieilles habitudes nous désorientent, nous aussi. Elles nous désorientent au sens où elles nous mènent ailleurs que sur les pas du Christ. L’habitude peut même nous rendre insensible à la misère des autres et nous engager sur un chemin de la déshumanisation, mais nous aurons toujours le pouvoir d’ordonner notre vie selon les conseils évangéliques plutôt que selon l’inclination de nos habitudes. Il n’y a pas de fatalité imposée, il n’y a que des choix délibérés.
Guy Delage sj