Mentir ou ne pas mentir ? C’est bien là toute la question qui s’est posée à une équipe de soignants du Calvados en France qui avait à charge des malades d’Alzheimer. Des poupées plus ressemblantes qu’un vrai nourrisson ont été remises aux patients. Il n’en a pas fallu davantage pour que les symptômes de la maladie diminuent. L’angoisse aussi a diminué.
Les patients se sont mis à communiquer à nouveau et ont retrouvé les gestes et les émotions qu’ils avaient éprouvés dans leur vie quand ils étaient en présence d’un nouveau-né.
L’expérience n’est pourtant pas nouvelle. Dès 2005 un robot émotionnel d’assistance thérapeutique avait été commercialisé au Japon. Faut-il voir dans ce mensonge thérapeutique une méthode pour accompagner les malades d’Alzheimer ou une tromperie inadmissible ?
Comme souvent ce genre de pratique nous vient des Etats Unis. Elle a été impulsée par Penny Garner et se fonde sur le principe qu’il ne faut jamais contredire quelqu’un qui est atteint de la maladie d’Alzheimer. Sinon on risque de le plonger dans des angoisses que provoquent un univers qui s’éloigne de lui un peu plus chaque jour. Forts de ce constat, certains services médicaux aux Etats Unis ont reconstitué un univers conçu pour ressembler au centre-ville d’une petite ville traditionnelle avec ses rues, ses bâtiments et tout le décor. D’autres sont allés plus loin encore en pré-enregistrant des conversations téléphoniques ou en simulant un trajet en bus ou en créant une plage virtuelle avec parasols et transats. Le but était de recréer artificiellement toutes les conditions d’une vie sociale.
Un certain Robert Nozick dans les années 70 avait même imaginé une machine qui permettrait à ses utilisateurs de vivre des expériences de leur choix plus agréables que la réalité du quotidien. Aujourd’hui grâce aux technologies du numérique, avec des lunette 3D et un équipement adapté, il est possible de se transporter dans un monde virtuel, plus vrai que nature, un monde qui nous fait échapper aux difficultés de la vie. Un monde de bonheur ?
N’oublions pas que l’être humain est un être de relations et ne perdons pas de vue que les poupons et autres robots thérapeutiques visent d’abord à pallier le manque de personnel, de temps pour les soins, de liens avec les familles et de relations intergénérationnelles. Il ne s’agit pas pour autant de rejeter le recours à ces subterfuges thérapeutiques, mais il ne faudrait pas en faire la norme qui nous autoriserait à abandonner les plus vulnérables. D’ailleurs dans la crise sanitaire actuelle personne n’a encore envisagé de mettre des robots dans les maisons de repos pour remplacer le personnel absent.
« Et le Verbe s’est fait chair », nous rappelle saint Jean dans le prologue de son évangile et st Paul dans sa lettre aux Philippiens précise que le « Christ Jésus, ayant la condition de Dieu (…) s’est anéanti en prenant la condition de serviteur ». Si Dieu lui-même est venu nous rejoindre dans notre réalité humaine, il est impossible de se dire chrétien et de fuir la réalité pour se réfugier dans un monde virtuel.
Guy Delage sj