Le complexe du hérisson vous connaissez ? Sans doute pas. Moi, je l’ai découvert par hasard. Je cherchais depuis longtemps un moyen d’éradiquer les limaces qui menaçaient l’avenir des salades et des potirons du jardin. Mais par respect de la nature, je ne voulais pas recourir à des moyens chimiques. Enlever tous les jours une à une et à la main ces mollusques gluants, j’y ai songé mais sans chercher à passer à l’action.
En septembre dernier à l’occasion du festival de photo de nature qui a lieu à Namur, j’ai pu glaner quelques conseils auprès de l’association Adalia qui prône le jardinage sans pesticides. La meilleure des solutions c’est de remplir un bac avec de la bière. Figurez-vous que les limaces sont attirées par la bière et qu’elles finissent par se noyer dans le bac.
Je pensais avoir trouvé LA solution quand, quelque temps plus tard, j’apprenais que les hérissons, ennemis jurés des limaces, sont également amateurs de bière et ne résistent pas une seconde à la tentation d’aller siphonner un bac de bière destiné aux limaces. Le problème c’est que l’alcool les enivre au point qu’ils sont incapables de se mettre en boule. Et, s’ils n’arrivent plus à hérisser leurs pics, ils n’ont plus aucun moyen de se protéger des prédateurs. Ils deviennent alors une proie facile pour les chiens, chats et autres bêtes qui veulent se faire les dents sur un hérisson. Alors que faire ? Aller acheter de la bière sans alcool pour éviter à compère hérisson une bonne biture qui lui aurait réservé de mauvaises surprises ? Non.
Il ne me restait plus qu’à tirer la leçon de cette histoire. Au point de départ la question était simple : comment venir à bout des limaces sans moyens chimiques ? Je m’attendais à trouver LA solution qui conviendrait, la seule, l’unique. Mais c’était raisonner sans tenir compte de l’interdépendance des espèces. Eliminer les limaces à la bière auraient eu des répercussions sur la vie des hérissons.
Il en est de même dans l’évangile. Quand les Pharisiens demandent à Jésus s’il faut payer l’impôt à César, la réponse est simple : soit oui, soit non. Mais Jésus replace la question dans un contexte plus large et invite chacun à donner à César ce qui lui revient et à Dieu ce qui lui revient. Faire preuve d’intelligence et de discernement consiste précisément à ne pas se laisser enfermer dans des questions simples : payer ou ne pas payer l’impôt à César, éliminer les limaces à la bière ou les laisser proliférer. Ces questions ne tiennent pas compte de la diversité des situations et des personnes. En me focalisant sur les limaces j’ignorais les hérissons. Et les pharisiens, eux, oubliaient un peu vite la dimension spirituelle qui anime toute vie humaine.
Guy Delage sj