La méritocratie, voilà un principe solidement ancré dans nos mentalités. Il nous permet de nous dédouaner, à moindre frais, des inégalités. Les pauvres ? Ils ne peuvent que s’en prendre à eux. Celui qui veut s’en sortir, il le peut. Yes, we can dirait l’oncle Sam. Regardez les riches, s’ils réussissent c’est grâce à leurs talents. Ce qu’ils gagnent, ils le méritent bien. Ils n’ont pas à en avoir honte.
La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 traduite en plus de 500 langues nous rappelle avec force que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Tous égaux à la naissance, mais après, ça se complique et quand il s’agit de tutoyer les sommets de l’ascension sociale certains sont plus égaux que d’autres. Le milieu social, la santé, le sexe, les caractéristiques physiques interfèrent constamment sur l’égalité des chances. Il n’y a pas que le mérite qui entre en ligne de compte. C’est pourtant ce que voudrait nous faire croire le règne de la méritocratie.
Croire que les « gagnants » se sont faits une place au soleil grâce à leurs mérites c’est pratique et ça permet d’accepter les inégalités sociales. La méritocratie est réconfortante pour nos sociétés. Soyez courageux, persévérants, ne rechignez pas à la tâche et vous serez récompensez pour vos efforts. D’ailleurs à la naissance, nous sommes tous égaux. Au début de la vie la compétition est ouverte. On est tous sur la même ligne de départ. Yes, you can. Mais n’oublions pas que certains sont mieux dotés à la naissance que d’autres. Il vaut mieux naître à Bruxelles qu’à Molenbeek par exemple, être en pleine possession de ses moyens que porteur de handicap, un homme qu’une femme… Heureusement pour nous, pour atténuer ces inégalités il y a l’école. Yes you can mon petit. Si tu travailles à l’école tu iras loin dans la vie. Si tu ne travailles pas tu n’auras rien. Et le travail à l’école se mesure grâce aux notes. Une bonne note correspond à un bon travail, une mauvaise note à un travail insuffisant. C’est aussi simple que ça. Pour autant, ne perdons pas de vue que les notes ne prennent pas en compte toutes les compétences. Quelle note récompense l’intuition, l’empathie, la créativité, le sens pratique, les qualités relationnelles, la sensibilité artistique et d’autres capacités encore du même genre ?
Les inégalités, si on les laisse filer, portent atteinte au bien-être, au vivre ensemble et à la démocratie. Et si elles s’incrustent, les injustices prendront le relais durablement. En fait, la méritocratie nous induit en erreur y compris sur le plan théologique. Le salut n’est pas une question de mérite. Il est offert gratuitement à tous alors même que personne ne mérite la vie éternelle promise par Dieu. Mais y croyons-nous seulement à la vie éternelle ? Ne faisons-nous pas plutôt comme le troisième serviteur de la parabole des talents ? Celui-là, il a enterré le talent qu’il avait reçu parce qu’il a eu peur de vivre.
Guy Delage sj