La langue française a fait son temps
Paraît qu’on n’arrête pas l’progrès
Que pour être vedette à présent
Il vaut mieux chanter en anglais
Et moi et moi pauvre de moi
Pauvre Ferra qui n’a jamais chanté qu’en français. Il ne faut pas s’étonner si ses chansons ne traversaient pas l’atlantique et n’étaient pas reprises par la BBC. Pas besoin d’être chanteur pour adopter la langue des affaires. Business is business. Ferra qui refusait le star système n’a jamais trop eu le sens du business.
Oui, l’argent mène le monde et le monde des affaires se pense en anglais. Les traders comptent les pertes en anglais, les écrivent en anglais avec des points là où nous mettons des virgules et les transmettent à tous les pays en anglais. Le british a l’avantage de nous faire entrer de plain-pied dans la mondialisation. N’allez pas vous aventurer à prendre l’avion si vous n’êtes pas capable de décrypter les annonces diffusées in english, dans tous les aéroports.
Et la pandémie n’a rien arrangé. Covid n’est que l’acronyme de Coronavirus Disease. Depuis que nous sommes en lockdown, le click and collect est devenue pratique courante. Le consultation committee n’a de cesse de nous répéter qu’au retour d’une zone rouge le testing est obligatoire et qu’un bon tracing limite la diffusion du virus.
Au 21ème siècle c’est une évidence : l’anglais s’impose à tous et partout. Les élèves n’ont plus besoin de se poser la question du choix de leur première langue vivante. Ce sera l’anglais. De nos jours il ne viendrait à l’idée à personne de mettre dans son CV : parfaite maîtrise du Malgache. Même pour postuler à un emploi de caissière dans une supérette de la Gaume, il est de bon ton d’afficher une parfaite maîtrise de l’anglais.
Il est temps pour la langue française d’évoluer, de se rapprocher de l’anglais en se débarrassant de toutes ses nuances encombrantes. Pourquoi utiliser plusieurs verbes quand un seul suffit ? Inutile de recueillir des informations, prélever des échantillons, ramasser les ordures ménagères, récupérer les eaux de pluie. Il suffit de collecter, info, échantillons, déchets et eaux de pluie. Notre langue est trop riche en mots. Il est urgent de « dégraisser le mammouth » et « d’investiguer » d’autres champs sémantiques qui nous ouvriront largement les portes de la pensée unique. Depuis que les snipers ont remplacé les francs-tireurs et que les check points ont dégommé les points de contrôle, plus rien n’échappe au rouleau compresseur Britanicus.
Il n’y a plus guère que l’Eglise catholique pour utiliser le latin comme langue normative. Quoi que la dernière encyclique du pape François est publiée avec un titre en italien : « Fratelli tutti. » Il est vrai que l’Eglise a toujours un train de retard. Mais on peut se demander si à vouloir bâtir notre civilisation sur le business on ne va pas dans le mur alors que Jésus décrétait heureux les pauvres. Et lui, il n’avait pas un train de retard, mais deux millénaires d’avance !
Guy Delage sj